février 27, 2021

Pub : pourquoi les prospectus ne sont pas près de disparaître de vos boîtes aux lettres

Par andy1712


Ils sont en papier très fin et s’invitent régulièrement dans vos boîtes aux lettres quitte, parfois, à les envahir plus que de raison. Ils, ce sont ces dizaines de prospectus de Carrefour, Leclerc, mais aussi Picard, Oxybul, Conforama, Kiabi, Intersport et consorts, qui vous incitent à courir faire vos courses ici quand vous pensiez aller là.

Les enseignes alimentaires y annoncent leurs promotions à venir (300 en moyenne par catalogue). Les magasins d’ameublement et de mode y déclinent leurs nouvelles collections. Les foires aux vins s’y décortiquent. Quant aux Action et autres Stokomani, qui ne cessent de renouveler leurs stocks, ils trouvent là le meilleur moyen de le faire savoir, et vite. « Sur les 100 premières enseignes en chiffre d’affaires, 60% éditent un prospectus, et même 100% pour les enseignes alimentaires, sauf Biocoop », résume Elisabeth Cony, fondatrice de Madame Benchmark et experte en stratégie d’actions commerciales des enseignes.

Oui, mais tout cela n’est guère écologique. Car ces catalogues représenteraient jusqu’à 40 kg de papier par an et par personne! Et seuls 13% d’entre eux seraient vraiment lus… Quel gâchis! Voilà pourquoi, en 2010, le médiatique Michel-Edouard Leclerc avait annoncé avec fracas qu’ils seraient éradiqués en 2020. Dix ans plus tard, leur disparition n’est guère à l’ordre du jour, mais le déclin est – un peu – amorcé. D’une part, parce que dans les villes, il est de plus en plus malaisé d’accéder aux boîtes aux lettres (digicodes, etc.) dans les immeubles. D’autre part, parce que de plus en plus consciente des enjeux écologiques, une partie de la population – 30% aujourd’hui, contre 18% il y a cinq ans – a apposé un autocollant « Stop Pub » sur sa boîte aux lettres.

55% des Français les jugent utiles

Soucieux d’accélérer le mouvement, un article du projet de loi Climat et résilience, présenté en mars à l’Assemblée nationale, propose « à titre expérimental » dans certaines collectivités territoriales d’interdire « la distribution à domicile d’imprimés papiers ou cartonnés à visée commerciale non adressés, lorsque l’autorisation de les recevoir ne fait pas l’objet d’une mention expresse et visible sur la boîte aux lettres ou le réceptacle du courrier ». Un sacré virage car, plutôt que d’apposer un « Stop Pub », les consommateurs seraient incités à mettre un « Oui Pub » s’ils veulent des catalogues.

Sans cet autocollant, toutes les autres boîtes aux lettres devront donc rester vierges de tout prospectus. « Certes, il faut mener cette expérimentation, mais prudemment, car les esprits ne sont pas mûrs », avance Laurent Landel, le président de Bonial France, un site qui propose tous les catalogues PDF en ligne. Et pour cause : d’après un sondage réalisé pour Bonial justement, 52% des Français se disent prêts à coller cet autocollant « Oui Pub » !

C’est que les enfants (notamment pour Noël), mais aussi les adultes, en redemandent. Toujours selon cette étude, 55% des Français jugent les prospectus utiles, un pourcentage qui monte à 63% chez les ouvriers et les employés. « Et la crise a encore renforcé l’attractivité de ces catalogues », estime Laurent Landel : depuis mars, la fréquentation de son site a parfois bondi de 50, voire de 100% ! Rien de surprenant quand on sait qu’un Français sur deux gagne moins de 1800 euros par mois.

Une source de bonnes affaires

« Avec la crise, on nous demande de plus en plus de promos et de bonnes affaires, on ne peut baisser la garde sur ce terrain-là », confirme Frédéric Preslot, le directeur marketing de Carrefour, enseigne numéro un en parts de marché et… en prospectus distribués. Dans les zones rurales, comme chez les personnes âgées, les prospectus sont d’autant plus appréciés qu’ils créent aussi du lien social.

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Et se muent en divertissement, parfois. Car si les « promos » classiques restent le socle, l’imagination des uns et des autres vient parfois égayer le quotidien de nos concitoyens. C’est ainsi que But vient de coller sur sa page de couverture un ticket à gratter. « C’est un investissement coûteux mais qui peut résister ? questionne Elisabeth Cony. Chacun le gratte, et peut récupérer des bons d’achat de 20 euros dès lors que l’on s’engage à dépenser 100 euros en magasin : tous ceux qui devaient revoir leur décoration ou acheter un matelas commenceront par But. »

C’est ainsi, aussi, qu’en décembre dernier, PicWicToys a eu la géniale idée d’annoncer la disparition du Père Noël : pour le retrouver, les enfants devaient chercher des indices… disséminés dans les pages du catalogue de Noël. Carton assuré. « Aujourd’hui, les prospectus sont devenus un outil de fidélisation », signale Sophie Vanier, directrice marketing d’Oxybul qui est passé de 10 millions de catalogues en 2014 à 3 millions l’an passé.

Un chiffre d’affaires additionnel de 13% pour les magasins

Si pour les enseignes, l’investissement financier est conséquent – les experts évoquent 50 à 80% de leur budget communication –, le retour sur investissement, dont le montant est tout aussi secret, est largement à la hauteur. « Cela génère en moyenne entre 5 et 15% du trafic en magasin », estime Emmanuel Fournet, le directeur du service clients de Nielsen. Les catalogues convainquent toujours les clients d’acheter : selon une étude menée par Balmétrie sur 100 millions de prospectus édités par les principales enseignes alimentaires, le chiffre d’affaires additionnel généré grâce à ce support est de 13%, ce qui représente souvent des milliards d’euros gagnés.

Autant dire que ces brochures ont encore de beaux jours devant elles. Certes, quelques enseignes ont décidé de les arrêter. C’est le cas d’Ikea, de Naturéo ou encore de Monoprix, qui a compensé avec le numérique – « et globalement, notre chiffre d’affaires promo n’a pas baissé », affirme Sandrine Sainson, la directrice de l’expérience client de Monoprix. Mais avec son positionnement « CSP+ », Monoprix n’est guère représentative des autres enseignes de la grande distribution.

Pour la plupart, l’avenir qui se dessine est donc celui d’une coexistence entre papier et numérique. Chez Carrefour, on est « plutôt sur une stabilité du papier », confirme ainsi Frédéric Preslot, sachant que le catalogue se décline par ailleurs sur le site, sur l’appli, ou même par le biais d’un numéro de téléphone WhatsApp. Le papier ne mourra pas. Le digital, lui, ne sera pas le sauveur ultime. « Ces dernières années, de nombreuses études ont montré que les techniques de communication digitales n’étaient ni aussi écolos ni aussi bon marché qu’on le pensait au départ », conclut Élisabeth Cony.