mars 15, 2021

Amaury voyageait 180 jours/an pour son travail: “Le compteur est à zéro cette année et les brasseries étrangères en profitent”

Par andy1712


Amaury Kervyn a 26 ans. Le jeune homme originaire de Wavre travaille depuis 5 ans pour la brasserie familiale Verhaegen à Anzegem, connue particulièrement pour sa bière phare : la Duchesse de Bourgogne. Mais le job d’Amaury n’est pas de fabriquer la bière ; c’est de la vendre à l’étranger. Diplômé en marketing à l’EPHEC, une haute école bruxelloise, il a été engagé par la brasserie flamande en tant qu’export manager.

C’est quoi ? Dans le monde brassicole belge, une majeure partie des volumes vont à l’export. Et donc pour ça, il faut une sorte de super commercial qui gère des pays et pas des clients”, explique-t-il. “Je visite les pays qui importent mes produits et mon boulot, c’est d’y travailler avec les importateurs qui vont revendre nos produits à de gros clients. Mon job, c’est de faire des actions commerciales avec eux pour booster nos ventes. Parce que ce qu’il faut bien savoir, c’est que je ne suis pas le seul fournisseur de mes distributeurs. Au plus je suis là et je les vois, et au plus ils vont penser à moi et mettre ma bière au lieu d’une autre.”

Impossible de voyager à cause des trop longues quarantaines

Des profils comme lui, il y en a dans la majorité des petites et moyennes brasseries belges. Et tous souffrent de la crise du Covid. “Nous sommes les grands oubliés de la crise”, nous a-t-il expliqué via notre bouton orange Alertez-nous.

Leur problème, c’est la quasi impossibilité de voyager. “J’avais l’habitude de voyager 180 jours par an pour le boulot. Si j’ai voyagé 80 jours l’an dernier c’est énorme. Cette année, le compteur est encore à zéro. Avant j’avais l’habitude de rester 3 jours dans un pays. Je parcourais toute l’Asie puis toute l’Amérique du Nord. Avec les mesures actuelles, on pourrait voyager. Mais dans les faits on ne peut pas. Par exemple en Chine, je dois faire une quarantaine de 21 jours, puis après encore une quarantaine à mon retour. C’est donc impossible de travailler” efficacement. Il est inimaginable en effet de payer les export managers 40 jours de travail pour 3 jours réellement sur place…

Le téléphone et les vidéoconférences ne remplacent pas le contact humain

Alors oui, garder le contact avec ses clients à l’étranger via téléphone et vidéoconférences reste possible. Mais “J’ai continué à travailler par téléphone et là, on fait des Teams. C’est bien d’en faire mais pour bien faire des affaires, il faut être sur place pour voir nos clients. C’est difficile d’annoncer des hausses de prix ou des actions commerciales à distance. Commercialement, c’est mieux de se voir. Et un commercial qui ne va jamais voir son client ne vendra plus rien.”

Les brasseries locales sur place en profitent

D’ailleurs, les ventes de bières belges à l’exportation diminuent. “Quand je vois les chiffres de la fédération des brasseurs, c’est une belle chute à deux chiffres. En Europe, c’est une catastrophe car tout est fermé. Mais en Asie, c’est moins catastrophique. En Russie ou en Chine, tout est rouvert” alors qu’ils ne peuvent pas en profiter faute de pouvoir voyager. Résultat : “Les concurrents, les brasseries locales sur place, en profitent pour mettre leurs bières sur le marché et celui-ci nous passe sous le nez. Elles prennent de plus en plus de parts de marché et c’est une menace pour le monde brassicole belge”, alerte-t-il.

Les exportations de bières belges en diminution claire

Krishan Maudgal est le directeur de la Fédération des Brasseurs belges. S’il ne parle pas encore de menace pour le secteur, il confirme l’analyse d’Amaury. “Le fait est qu’ici en Belgique aussi, on a cet appel à consommer ou acheter le plus possible local. Et c’est pour les brasseurs belges un élément qui se manifeste de plus en plus sur les marchés à l’étranger. En temps normal, pour toutes les bières brassées en Belgique, 60 à 65% sont vendues à l’étranger. Selon ce que nous indiquent nos membres, ça a diminué mais nous n’avons pas encore les chiffres exacts. Mais c’est en diminution claire.”

Je trouve ça dingue que la Belgique émette des réserves sur ce passeport vaccinal

Pour aider sa profession et le secteur brassicole au plus vite, Amaury plaide pour certaines solutions. Premièrement, “jel est temps que les gouvernements du monde entier se mettent d’accord afin de créer un passeport vaccinal, histoire de reprendre les affaires telles qu’elles l’étaient avant la crise. Je trouve ça dingue que la Belgique émette des réserves sur ce passeport vaccinal. Nos politiciens devraient mettre leurs yeux dans les chiffres. S’ils veulent une relance, qu’ils laissent les export managers travailler vu qu’une grosse partie des ventes se font à l’étranger”.

Vers une solution européenne pour voyager cet été

Si la Belgique ne veut pas de ce passeport vaccinal car il serait discriminatoire pour ceux qui ne sont pas (encore) vaccinés, l’Europe est en train de préparer une alternative. La Commission européenne formulera avant la fin mars une proposition législative visant à créer un “digital green pass”, sorte de certificat médical numérique destiné à prouver qu’une personne a été vaccinée ou à enregistrer les résultats de tests pour ceux qui n’ont pas encore reçu le vaccin. Un système plus juste que la Chine vient d’ailleurs de mettre en place via une application pour ses ressortissants. Mais en Europe, ça prendra du temps : ce “digital green pass” devrait être prêt pour l’été.

Voilà qui résoudra le problème d’Amaury, qui dans l’optique d’un passeport uniquement vaccinal, estimait que les export managers devraient être vaccinés en priorité. “C’est dingue qu’on ne soit pas prioritaires. Si on perd du terrain dans l’export, l’économie belge sera fortement impactée. Nous représentons 70% du PIB (85% selon la Fédération des Entreprises de Belgique, ndlr) et Dieu sait si on a besoin que l’économie belge redémarre.”

La réouverture de l’Horeca prime sur la reprise des exportations

Sur ces solutions avancées par Amaury, Krishan Maudgal se montre moins pressé. Aider les brasseries à relever leurs exportations n’est pas aujourd’hui la première urgence pour le secteur. “Après avoir vacciné toutes les personnes à risque, c’est un débat qui peut être initié”, explique-t-il concernant l’éventuelle priorité au vaccin pour les emplois liés aux exportations.

Pour lui, l’urgence du secteur brassicole est “dans un premier temps de rouvrir l’Horeca et de maintenir l’exploitation”. Puis seulement il sera temps de voir “comment encore élargir notre degré d’activité. Là, parler de passeport vaccinal pourrait être intéressant”. Mais il estime que cet aspect sur les difficultés de voyager va de toute façon “se résoudre petit à petit avec la campagne de vaccination. Un mois ou 2 mois plus tôt ou plus tard, je ne pense pas que ça aura un impact énorme. Deux ans par contre oui.”

Jusqu’à 50% des établissements Horeca sont à risque

Le directeur de la Fédération des Brasseurs belges va donc consacrer son énergie en premier lieu à pousser pour rouvrir “intelligemment” l’Horeca. “Chaque jour sans pouvoir rouvrir l’Horeca augmente la difficulté du secteur brassicole. Sur 61.000 établissements en 2020, 20 à 30% ne seront plus capables de rouvrir selon des prévisions. D’autres études indiquent que jusqu’à 50% sont à risque” de faillite, explique-t-il. C’est dans l’Horeca que la diminution des volumes vendus sont les plus fortes. “-50% en 2020 par rapport à 2019. Il y a bien eu une légère croissance de la consommation à domicile mais elle ne compense pas les pertes de l’Horeca et de l’évènementiel”, ajoute-t-il.

C’est la raison de leur déception après le dernier comité de concertation. Les brasseurs espéraient une réouverture des terrasses de l’Horeca pour les vacances de Pâques, mais c’est finalement postposé au mois de mai si les chiffres le permettent. Mais la Fédération des Brasseurs belges n’abandonnera pas la partie : ils veulent “poursuivre le dialogue entamé avec les décideurs politiques pour permettre malgré tout une réouverture plus rapide de l’Horeca en définissant ensemble un cadre sécurisé, et pour discuter de mesures de soutien supplémentaires” au secteur.