avril 8, 2021

NFT: Beeple très important

Par andy1712


« Merde, alors », a-t-il réagi sur Twitter en apprenant le prix final d’acquisition de sa pièce, chez Christie’s, ce 11 mars : 69,3 millions de dollars. Ce record absolu pour une œuvre numérique fait de Beeple l’un des trois artistes vivants les plus chers au monde, avec Jeff Koons et David Hockney. Joint par téléphone, Mike Winkel-mann de son vrai nom confie que « ça va pas mal du tout, même si ça a été la folie ces derniers jours ». Jusque récemment, l’Américain de 39 ans gagnait sa vie en réalisant des clips d’animation pour des musiciens et des marques (Louis Vuitton, Apple, etc.). Jean, baskets, jurons et superlatifs, ce père de famille a tout du geek, ces types obsédés par leurs ordinateurs et peu à l’aise avec la réalité. Il avoue ne « rien connaître à l’histoire de l’art » et qualifiait jusque-là de « trucs » (stuffs) ses créations bizarres et compulsives. C’est pourtant cette « drôle d’obsession » qui consiste à passer depuis 2007 plusieurs heures à concevoir un dessin par jour – « même celui de mon mariage » – qui vient de payer. La grande œuvre qui en résulte, « Everydays : the First 5000 Days », est une gigantesque mosaïque d’images digitales, assemblage vernaculaire de visions peuplées de monstres aux allures de Atout ou de Mickey Mouse, quelque part entre pop art et hyperréalisme. Des images nourries par les news qui tournent en boucle sur deux télés, dans son studio.

Bien sûr, le phénomène Beeple s’explique en partie par celui plus large des NFT (non fungible token), cette technologie révolutionnaire apparue fin 2020, qui permet d’assurer la non-reproductibilité et donc l’authenticité d’œuvres numériques, jusqu’ici fragilisée par le piratage. Investisseurs et quidams s’emballent désormais sur la Toile pour tout et n’importe quoi « certifié NFT », qu’il s’agisse d’un album du groupe Kings of Leon ou d’un clip montrant LeBron James s’envoler vers un panier de basket. Véritable poule aux œufs d’or, la tokenisation, comme on dit déjà, a aussi permis à Jack Dorsey, le P-DG de Twitter, de vendre son tout premier tweet jamais envoyé pour la somme modique de… 2,9 millions de dollars. À ses détracteurs qui ne voient en Beeple qu’un phénomène de mode, une habile opération de marketing ou une dégénérescence de plus du capitalisme financier, celui-ci rappelle ses deux millions d’abonnés Instagram, qui suivent ses créations au jour le jour depuis une décennie. « C’est comme avec la musique sur Spotify : ça a un sens tout de même, si deux millions de personnes écoutent votre nouveau titre, non ? » Comme avec toute œuvre radicalement nouvelle, une partie des critiques d’art crient déjà au kitsch, au mauvais goût. Damien Hirst qualifie pour sa part de « génie » celui qu’il a découvert grâce à son fils adolescent. La star british s’est elle-même prise au jeu, proposant aux internautes ses « flowers » contre des tokens. D’abord réticents, de plus en plus d’artistes respectés rejoignent ainsi le mouvement, remettant en cause les mœurs et usages du milieu de l’art contemporain, à commencer par le rôle majeur des galeries. « Ce qui est formidable avec les NFT, c’est que chacun peut écrire les règles soi-même », s’enthousiasme Beeple. Une culture DIY (« do it yourself ») qu’il rapproche des débuts d’Internet, de la musique électro ou encore du street art : des formes d’expression jeunes, populaires, qui bouleversèrent les règles établies. Que va-t-il faire maintenant ? Outre les cours d’histoire de l’art auxquels il vient de s’inscrire, il n’a pas prévu de changer grand-chose à son existence. « Continuer mes “Everydays”, sans doute, jusqu’à la fin de ma vie. »